Le gouvernement congolais a engagé, le 19 avril 2025, une série de mesures judiciaires contre l’ancien président Joseph Kabila, incluant la saisie de ses biens. Au-delà des implications politiques, cette décision relance le débat sur la transparence en matière de propriété effective et la capacité de l’État à tracer les avoirs cachés d’acteurs influents.
L’annonce par le ministère congolais de la Justice marque une rupture dans la gestion des anciens pouvoirs. Joseph Kabila, accusé de liens avec l’Alliance du fleuve Congo/M23, fait face à des poursuites pour « participation à l’agression » contre la RDC, selon le communiqué officiel. Cette décision s’inscrit dans un contexte sécuritaire tendu, renforcé par des informations confirmées sur sa récente arrivée à Goma depuis le Rwanda – un itinéraire qualifié de « choix délibéré » par le ministre de l’Intérieur.
Parmi les mesures les plus symboliques figure la réquisition de saisie des biens de Joseph Kabila et de ses proches. Mais la mise en œuvre de cette décision bute sur un obstacle majeur : l’identification claire des actifs concernés. De nombreuses entités, parfois situées dans des juridictions opaques, seraient en jeu. Des précédentes enquêtes – Bloomberg (2016), Congo Hold-Up (2021), Groupe d’études sur le Congo (2017) – évoquent une galaxie de plus de 70 entreprises, des avoirs miniers et fonciers, ainsi que des circuits financiers transnationaux.
La question de la propriété effective – qui vise à identifier les véritables détenteurs d’actifs – est au cœur de l’affaire. En théorie, la RDC dispose d’un cadre légal depuis la promulgation de la loi n°22/068 sur l’identification des bénéficiaires effectifs. En pratique, la mise en œuvre reste embryonnaire. Selon l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) 2022, seuls 47 des 91 acteurs extractifs déclarés ont communiqué des données, souvent incomplètes. Le registre national reste à créer, faute d’arrêté d’application.
Une faiblesse structurelle dénoncée par les partenaires internationaux
Le Groupe d’action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique Centrale (GABAC), dans son deuxième rapport de suivi renforcé, pointe des « manquements importants » dans l’accès des autorités aux données d’identification des personnes morales. L’absence de mécanismes de contrôle et de sanctions réduit l’efficacité des dispositions existantes. Le Panel FACTI des Nations unies et Tax Justice Network insistent sur l’urgence d’instaurer des registres publics interopérables et fiables.
Au-delà de la figure de Joseph Kabila, c’est tout un système d’accumulation opaque de richesses qui est en cause. La concentration de licences minières, de terres agricoles et d’intérêts dans des sociétés offshores souligne la nécessité de renforcer la gouvernance dans des secteurs clés comme les mines, l’agriculture ou les finances. En toile de fond, le défi reste celui d’une justice fiscale et d’un modèle économique plus équitable.
La mise en cause de l’ancien président intervient dans un climat régional déjà instable, où les tensions entre la RDC et le Rwanda restent vives. L’implication supposée de figures politiques de premier plan dans des réseaux transfrontaliers aggrave la méfiance entre États et pourrait compromettre des initiatives régionales telles que le Pacte de Nairobi ou les mécanismes de médiation de la CIRGL (Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs). Cette affaire pourrait ainsi polariser davantage les relations diplomatiques, tout en renforçant la rhétorique de souveraineté économique au sein du gouvernement congolais.
Face aux enjeux révélés par l’affaire Kabila, le gouvernement congolais pourrait transformer cette crise en levier de réforme. La création rapide d’un registre national de la propriété effective, la digitalisation des déclarations fiscales et l’ouverture des données publiques sur les bénéficiaires réels d’actifs stratégiques seraient autant de signaux forts en faveur de la redevabilité. Dans un pays où les ressources naturelles représentent près de 90 % des exportations, la crédibilité des institutions passe désormais par leur capacité à démanteler les systèmes de prédation.