Alors que la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun tente d’imposer son modèle, la résistance des régulateurs régionaux relance le débat sur la souveraineté économique au sein de la CEMAC.
Depuis l’entrée en activité de la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC) en janvier 2023, la trajectoire de cette jeune institution publique se heurte de plein fouet aux logiques de tutelle communautaire incarnées par la BEAC et la Cobac. Entre débats juridiques, enjeux politiques et suspicion institutionnelle, le Cameroun se retrouve au centre d’une bataille feutrée, mais déterminante, sur l’avenir des structures publiques de dépôt dans la zone CEMAC.
Tout semblait pourtant cadré : une structure nationale chargée de collecter et sécuriser les fonds publics et privés dormants, à l’instar de modèles éprouvés ailleurs sur le continent. Mais à peine mise sur orbite, la CDEC se retrouve sous le feu croisé des régulateurs sous-régionaux. En ligne de mire : le niveau de supervision que la Cobac estime devoir exercer sur ses activités.
« En dépit de la position constante et harmonisée des CDC du Cameroun et du Gabon, la BEAC et la Cobac ont continué d’éluder les problématiques fondamentales soulevées », déplore un communiqué de la CDEC en date du 17 avril 2025. La discorde n’est pas nouvelle, mais elle a été ravivée à l’occasion des travaux d’un groupe de travail piloté par la BEAC, où seul un consensus partiel sur la gestion des avoirs en déshérence a été trouvé.
Au cœur du désaccord : la volonté des CDC du Cameroun et du Gabon de limiter la supervision de la Cobac à leurs seules activités bancaires, tandis que les régulateurs plaident pour une surveillance intégrale, y compris sur les opérations non bancaires. Une posture que la CDEC juge attentatoire à la souveraineté organisationnelle des États.
Le Cameroun pointe également une discrimination manifeste. La CDC du Gabon, créée en 2010, a opéré pendant plus d’une décennie sans que ni la BEAC, ni la Cobac, n’émettent la moindre objection — alors même qu’elle a été dirigée, de 2019 à 2024, par Patricia Danielle Manon, aujourd’hui secrétaire générale adjointe de la… Cobac. Une situation que la partie camerounaise considère comme une inégalité de traitement flagrante.
Avoirs en déshérence : le nerf de la guerre
La tension a atteint son paroxysme en 2024, lorsque le Cameroun a fixé au 1er juin une date butoir pour le transfert des avoirs en déshérence — ces fonds dormants abandonnés depuis des années — aux mains de la CDEC. Si plusieurs banques et institutions, dont la direction nationale de la BEAC, ont suivi, d’autres ont refusé, soutenues par une Cobac désormais offensive.
Dans un courrier du 11 juillet 2024, Marcel Ondélé, secrétaire général de la Cobac, a demandé la suspension des transferts, en attendant un cadre réglementaire communautaire clair. Pour la CDEC, cet argument masque une volonté de blocage. « Pourquoi un tel empressement à encadrer la CDEC, alors que la CDC Gabonaise a opéré sans entrave pendant des années ? », s’interroge une source proche du dossier.
La tentative de verrouillage communautaire
C’est dans ce contexte tendu que s’est tenue, le 15 avril 2025, la dernière réunion du groupe de travail initié par la BEAC. À l’issue des discussions, aucun terrain d’entente n’a été trouvé sur la supervision des CDC. Un seul consensus a été arraché : celui sur l’avant-projet de texte relatif aux comptes inactifs et avoirs en déshérence. « Les documents seront soumis aux instances compétentes de la CEMAC », a déclaré Yvon Sana Bangui, gouverneur de la BEAC, dans un communiqué officiel.
Mais côté camerounais, la manœuvre est perçue comme un passage en force. Le fait de présenter les avant-projets à l’arbitrage du Comité ministériel de l’UMAC, seule instance habilitée à trancher, est vu comme une tentative de court-circuiter les objections techniques soulevées par les CDC.